Je ne crois pas qu’il soit utile d’en dire davantage sur le déclin des institutions religieuses dont la désagrégation constitue un aspect si important de la période de formation de l’ère bahá’íe. L’islám était, suite à la vague montante de sécularisation, et en conséquence directe de son hostilité déclarée et persistante à la foi de Bahá’u’lláh, tombé à un degré d’avilissement rarement atteint au cours de son histoire. Le christianisme à son tour, pour des causes qui ne sont pas entièrement différentes de celles qui ont joué dans le cas de sa foi soeur, s’était affaibli de jour en jour et contribuait d’une manière croissante au processus de désagrégation générale, un processus qui doit nécessairement précéder la reconstruction fondamentale de la société humaine.

Les signes d’effondrement de la morale, distincts des signes de décadence des institutions religieuses, n’apparaissent pas moins notables et significatifs. Le déclin qui s’est établi dans l’état des institutions islamiques et chrétiennes a, peut-on dire, sa contre-partie dans la vie et la conduite des individus qui les composent. Dans quelque direction que nous tournions nos regards, et si superficielle que soit notre observation des dires et des faits de la génération présente, nous ne pouvons manquer d’être frappés par les signes de décadence morale dont les hommes et les femmes, tant dans leur vie individuelle qu’à titre collectif, font preuve autour de nous.


Il n’est pas douteux que le déclin de la religion en tant que force sociale, dont la détérioration des institutions religieuses n’est qu’un phénomène extérieur, soit le principal responsable d’un mal si grave et si évident. La religion, écrit Bahá’u’lláh, est le moyen le plus considérable pour l’établissement de l’ordre dans le monde et pour le contentement paisible de tous ceux qui l’habitent. L’affaiblissement des piliers de la religion a affermi les mains des ignorants et les a rendus hardis et arrogants. En vérité, je vous le dis, tout ce qui a abaissé le rang élevé de la religion a renforcé l’obstination des méchants, et le résultat ne peut être que l’anarchie. La religion, dit-il dans une autre tablette, est une lumière radieuse et une forteresse imprenable pour la protection et le bien-être des peuples du monde, car la crainte de Dieu oblige l’homme à s’en tenir fermement à ce qui est bien et à fuir tout mal. Si la lampe de la religion est voilée, la confusion et le chaos s’ensuivront, et les lumières de l’équité, de la justice, de la tranquillité et de la paix cesseront de briller. Sachez, a-t-il écrit à un autre propos, que ceux qui sont vraiment sages ont comparé le monde au temple humain. De même que le corps de l’homme a besoin d’un vêtement pour l’habiller, de même il faut que le corps de l’humanité soit revêtu du manteau de la justice et de la sagesse. Sa robe est la révélation qui lui est accordée par Dieu.


Il n’est donc pas étonnant que, lorsque par suite de la perversité humaine la lumière de la religion est éteinte dans le coeur des hommes, et que la robe divinement assignée, qui est destinée à l’ornement du temple humain, est délibérément rejetée, un déclin déplorable s’établit immédiatement dans le sort de l’humanité, et amène dans son sillage tous les maux qu’une âme rebelle est capable de révéler. La perversion de la nature humaine, la dégradation de la conduite humaine, la corruption et la dissolution des institutions humaines se révèlent, à la faveur de telles circonstances, sous leurs pires et leurs plus révoltants aspects. Le caractère humain est avili, la confiance est ébranlée, les règles de la discipline sont relâchées, la voix de la conscience humaine est étouffée, le sens de la pudeur et de la décence est obscurci, les concepts de devoir, de solidarité, de réciprocité et de loyauté sont faussés, et le sentiment même de la paix, de la joie et de l’espoir s’éteint peu à peu.


Telle est, il faut bien l’admettre, la situation que frôlent les individus et les institutions. Il n’est pas, a écrit Bahá’u’lláh se lamentant sur la condition fâcheuse d’une humanité fourvoyée, il n’est pas deux hommes qui puissent se dire extérieurement et intérieurement unis. Les preuves de la discorde et de la malveillance apparaissent de tous côtés, alors que nous étions tous faits pour l’harmonie et l’union. Pendant combien de temps, s’écrie-t-il dans la même tablette, l’humanité persistera-t-elle dans son obstination ? Pendant combien de temps l’injustice se perpétuera-t-elle ? Pendant combien de temps encore la confusion et le chaos régneront-ils parmi les hommes ? Pendant combien de temps encore la discorde agitera-t-elle la face de la société ? Les vents du désespoir, hélas, soufflent de tous côtés, et les différends qui divisent et affligent la race humaine s’aggravent de jour en jour.


La recrudescence de l’intolérance religieuse, de l’animosité raciale et de l’arrogance patriotique; les manifestations croissantes de l’égoïsme, de la suspicion, de la peur et de la tromperie; l’expansion du terrorisme, de l’illégalité, de l’ivrognerie et du crime; la soif insatiable et la poursuite fiévreuse de la richesse, des plaisirs et des vanités terrestres; l’affaiblissement de la solidarité familiale, le laxisme de la surveillance parentale; la chute complaisante dans la luxure; l’attitude irresponsable vis-à-vis du mariage et la vague montante des divorces qui en résulte; la décadence de la musique et des arts, la contagion de la littérature et la corruption de la presse; l’activité et l’influence croissantes de ces « prophètes de la décadence » qui plaident pour l’union libre, qui prêchent la philosophie du nudisme, qui taxent la modestie de fiction intellectuelle, qui se refusent à considérer la procréation comme l’objet principal et sacré du mariage, qui dénoncent la religion comme étant un opium pour le peuple et qui, si on les laissait faire, ramèneraient la race humaine à la barbarie, au chaos et à l’extinction finale; tels apparaissent les traits caractéristiques d’une société en décadence, une société qui doit ou renaître, ou périr.

(Shoghi Effendi, L’ordre mondial de Baha’u’llah)